Solenn, la « Stakhanoviste »
C’est le surnom que m’a donné Nordic Pat lors de la Viking Nordic Walk & Trail. Pour moi, L’Ultra Marin est une course hautement symbolique sur deux plans : le Golfe du Morbihan, mon coin natal ; la distance à parcourir et l’exigence de la course de nature à puiser dans mes ressources mentales. Tout cela compose un puissant et excitant challenge, d’autant que s’ajoutent des sentiments personnels post-Chamarande à solder.
De plus, blessée au genou, j’ajoutais une difficulté supplémentaire… Il me fallait résoudre, plus douloureuse que ma fracture de fatigue, l’équation du sportif pour la première fois de ma vie : déclarer forfait pour préserver la mécanique ou maintenir pour apaiser le psychisme en manque ? Une fois le médecin du sport consulté mi-juin et toutes les données du problème en main, j’ai décidé. J’irai chercher mon meilleur chrono. Fût-ce en pleurant ou en rampant…
Pascal, le « Faux Nonchalant »
Pascal est fin comme une aigrette. Il a pour lui le physique typique du coureur aguerri. C’est injuste mais c’est comme ça. Il court un semi-marathon sans préparation en moins de deux heures, et quand il va moins vite, c’est pour m’encourager et me tirer vers l’avant. Il conserve un cardio de moine reclus et, souvent, y compris dans les compétitions, blague avec tout le monde. Parfois, l’ambiance de la compétition lui tombe dessus. La course devient tout à coup chose sérieuse. Il met ses longues jambes en action, active le turbo et décolle, entraînant ses bâtons dans une belle gestuelle, acquise au prix de beaucoup de travail et de concentration.
Pour cette épreuve, il va râler jusqu’au matin contre les embouts (ndlr : qui ont été imposés au dernier moment) et répéter « 29 km, c’est la dernière fois que tu m’inscris à cette distance, au-delà de 15 km, c’est non ». (Il ne sait pas que je fomente les 24 heures de marche nordique en relais, ne lui dites surtout pas…).
Il se souvient que notre coach lui avait conseillé de faire sa course à son allure sans tenir compte de moi (moins rapide que lui). De tout donner. Ne rien regretter. Il sera le dernier à l’avouer, mais c’est bien ce qu’il réalisera.
Les 29 km de Pascal
Pour faire ce récit, je lui demande de me raconter cette course qu’on a faite ensemble. « On ne l’a pas faite ensemble, j’étais loin devant ! » rectifie-t-il aussitôt. Il voulait la faire tranquille, parce que c’est trop long. Il aura avalé les 29 km en 3h34 et finira à la 23ème place sur 1056 au scratch.
« Mais alors, raconte-moi ! dis-moi comment c’était ! ». « Du bitume, du bitume, encore du bitume, et les pads, c’est nul. » Schtroumpf Grognon, je vous avais dit. « J’ai marché longtemps avec Jean-Luc Girault (camarade du Quimper Athlétisme et son pote). On était avec un groupe de 5 marcheurs, on se relayait pour se donner l’allure, c’était très sympa. On s’entraidait. » Ah voilà, un peu de positif, on retrouve les valeurs de la marche nordique, que nous aimons tant.
« On ne sait pas trop comment, mais on a atterri sur une petite plage, on ne voyait plus personne, ni marques, ni marcheurs. On a fini par retrouver le parcours et c’est là qu’on a recroisé Laurent Boucher, qui, lui, avait pris le bon chemin. On avait clairement les boules d’avoir perdu autant de temps ». Pour le coup, il a raison de râler… « Puis on a doublé votre groupe de filles à un endroit très étroit, et on a reformé un groupe de cinq. On a marqué un arrêt au ravito pour se requinquer. Le ravito est vraiment très bien achalandé. » Comptez les points positifs.
« On filait bien. On s’est encore planté de chemin. On a essayé de garder le moral. C’est au km 24 que les choses ont commencé à devenir compliquées. On tapait dans le dur. Certains ont commencé à un peu fléchir. Là, je me suis retrouvé avec deux autres Pascal. Nous étions trois Pascal à marcher les derniers km, c’est bien pratique pour les encouragements du public. Les « Vas-y Pascal ! », on se les partageait !
Puis, nous avons fini, à deux, ensemble, soudés avec Pascal Minchelli de l’Ac Roche-sur-Yon. Jusqu’au bout, on s’est encouragés, parfois avec du bluff (« fais gaffe, derrière ça remonte ») pour se redonner un coup de fouet, jusqu’à poser le pied sur la ligne d’arrivée, en donnant tout ce qu’il nous restait de jus, plus rien, au bout de la vie, jusqu’au bout de la course. Juste pour la beauté de finir en accélérant toujours. »
C’est pas beau ça ?
Les 29 km de Solenn
J’aime tout dans les compétitions : les préparatifs, les retrouvailles avec les copines et copains de la MN, le départ, la souffrance et la joie si intense de franchir la ligne d’arrivée. Nous avions bien dormi, au Bono, dans ma famille dont la maison correspondait à peu près au km 50 de l’Ultra Trail de 175 km. La veille au soir, nous avons encouragé les premiers qui passaient devant. Le branle-bas le matin en préparant gourdes et poches avec des liquides à la composition savamment choisie me transporte déjà dans un état d’enthousiasme à nul autre comparable. Nous retrouvons nos camarades du QA et nos amis du HBA, Denis Leux et Céline Beucher.
Je croise aussi Nathalie Liard de l’Ac La Roche sur Yon, avec qui j’adore aussi marcher, car nous avons la même allure et la même exigence technique. Nous ferons quasi toute la course ensemble, en se relayant pour se maintenir et s’encourager. Nous nous sommes appliquées à conserver nos pads jusqu’au km12 et les avons enlevés au ravito. Les miens me gênaient vraiment en allongeant mes bâtons de 4 cm. Il n’était pas question que je coupe mes bâtons à trois jours de la course. Nathalie et moi faisions partie du groupe à avoir suivi le bon chemin. Je fus ainsi la 1ère féminine quelques minutes, pendant que le groupe de tête s’égayait sur la plage à côté. Nous avons compris qu’il y avait eu une erreur de balisage et savions que les champions allaient rapidement nous rattraper.
De voir Christiane Salvi, Angélique Doms et Elodie Besnier-Kervern me doubler à toute allure, altières et aériennes, est une image que je vais ranger parmi mes beaux souvenirs. En plus, ça fait un petit courant d’air agréable… Les 20 premiers km passent plutôt facilement. Mon genou (à la fracture de fatigue) s’est tenu à carreau. Quelques petits coups de mou certes, mais vite compensés par notre entrain et notre solidarité entre marcheurs et Nathalie. Puis nous attaquons le dur, le vraiment dur. J’essaie de ne plus regarder ma montre, mais je sais que si je ne fléchis pas, je descendrais large en dessous des 4 heures.
Arrivée à la Pointe des Émigrés, je lâche Nathalie et je ne pense plus qu’à mettre un pied devant l’autre. Je suis derrière un petit groupe de marcheurs de Caen, animé par un gaillard très sympa, qui s’arrête pour demander une bière (en blague) aux gens qui pique-niquent. Nous finirons ensemble, il m’encouragera jusqu’au bout. Un grand merci à lui. Sur le trottoir, le dernier km me fait goûter à l’éternité. Dans la souffrance. Le genou me fait souffrir le martyr, la jambe droite part n’importe comment.
Aux derniers cents mètres, j’entends une voix connue. Ma fille, habituée aux compétitions, me hurle dessus d’accélérer, de tout donner. Elle me donne des ailes. J’accélère. Je finis en 3h46 à la 70ème place et je permets, avec ma camarade féminine du QA Caroline Cornec, de classer le QA en seconde place par équipe.En deux ans, je parviens à décrocher pour la première fois un classement 1ère M2F en MN. Et ça je vais savourer tout l’été. Et suprême récompense : apparaître dans la story Insta de sa fille 🙂
Merci aux organisateurs, merci aux personnes qui nous ont encouragés tout du long (spécial mention à Regina et Arnaud Gesnot, Hélène et Olivier Guillemin ainsi qu’à Mickaël Le Mestric). Les encouragements ça change une course !